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Vente de titres démembrés : qui paie l’impôt sur les plus-values ?

Pour optimiser le coût fiscal de la transmission de leur patrimoine professionnel, il est courant que les chefs d’entreprise donnent la nue-propriété des titres de leur(s) société(s) notamment à l’un de leurs enfants. En cas de cession ultérieure, la répartition de l’impôt sur les plus-values peut s’envisager selon deux scénarios. 

Parce qu’il constitue un possible levier de transmission patrimoniale, le démembrement de propriété s’applique parfaitement à une entreprise, à condition que celle-ci prenne la forme d’une société. Cette organisation n’empêche pas le fondateur de l’entreprise, usufruitier, et ses enfants ─ ou l’un d’eux ─ futurs repreneurs, nus-propriétaires, de gérer et de développer l’entreprise, ni même de la vendre. Dans ce cas, qui doit s’acquitter de l’impôt sur les plus-values ?

Anticiper la transmission

Pour mémoire, le démembrement de propriété s’inscrit parfaitement dans le cadre d’une transmission de patrimoine anticipée. En effet, le chef d’entreprise qui veut transmettre son patrimoine professionnel à tout ou partie de ses enfants peut procéder à la donation de la nue-propriété des titres de l’entreprise. Cette opération fait naître une économie fiscale puisque les droits de donation sont alors calculés sur la valeur des titres, diminuée d’un pourcentage qui est inversement proportionnel à l’âge de l’usufruitier. En présence d’un usufruit à durée viagère et donc au décès du(es) parent(s) donateur(s), le(s) enfant(s) nu(s)-propriétaire(s) récupèrera(ont) automatiquement la pleine propriété par extinction de l’usufruit, sans payer de droits supplémentaires, ni au titre de droits de donation ni au titre de droits de succession en l’état actuel des textes. Il peut arriver aussi que l’entreprise soit vendue avant ce terme. Dans ce cas les droits sociaux sont alors conjointement cédés par l’usufruitier et le(s) nu(s)-propriétaire(s). Qui de l’usufruitier ou du(des) nu(s)-propriétaire(s) payera alors l’impôt sur d’éventuelles plus-values ? Si le Code général des impôts est muet sur la façon dont l’impôt sur les plus-values doit être réparti, l’administration fiscale a posé les règles du jeu(1). Plusieurs situations sont ainsi envisagées.

Usufruitiers et nus-propriétaires se répartissent le prix de vente

La vente de l’entreprise peut résulter de la cession conjointe de l’usufruit et de la nue-propriété des titres. Exemple : monsieur Desbois est à la tête d’une scierie qu’il a lui-même créée, sous forme de S.A. Pour faciliter la reprise de l’entreprise par ses enfants, il a donné la nue-propriété des actions à son fils et sa fille en 2002. Mais à l’approche de la retraite de monsieur Desbois, il s’avère qu’aucun des deux enfants ne souhaite reprendre les rênes de l’entreprise, leur vie professionnelle respective les ayant menés vers d’autres horizons. La famille se met alors d’accord pour vendre l’entreprise. Les deux enfants usufruitiers et le père nu-propriétaire cèdent ensemble leurs droits sur les actions de la S.A. et le prix de vente. De la sorte, une partie du patrimoine professionnel de monsieur Desbois est ainsi transmise, en valeur. Dans cette situation et en cas de plus-value, l’usufruitier et le(s) nu(s)-propriétaire(s)c vont payer leur part d’impôt sur les plus-values, à hauteur de leurs droits démembrés respectifs.

Les cédants s’accordent pour réinvestir le prix de la vente

Mais la famille Desbois peut aussi décider que le prix de la vente reviendra en totalité au parent donateur et usufruitier dans le cadre d’un quasi-usufruit. Pour cela une convention aura été conclue selon laquelle l’usufruitier initial a le droit d’utiliser la somme dégagée par la vente, à charge pour celui-ci de la restituer à ses enfants à la fin de l’usufruit. Dans cette situation l’impôt de plus-values est dû exclusivement par l’usufruitier, Monsieur Desbois.
Néanmoins, la chronologie des opérations revêt toute son importance, comme vient de le rappeler la cour administrative d’appel de Paris(2). C’est en effet à la date de la vente qu’il convient de se placer pour déterminer le redevable de l’impôt. Si la convention de quasi-usufruit est conclue après la cession des titres, même peu de temps après, elle est sans portée fiscale. L’impôt est alors réparti entre l’usufruitier et le nu-propriétaire selon la valeur respective des droits de chacun, et non pas, comme le défendait l’administration fiscale, mis à la seule charge de l’usufruitier. Autrement dit, c’est le principe général d’imposition qui s’applique, à savoir l’imposition de chacun des détenteurs de tels droits réels des titres cédés selon la valeur de ces droits respectifs.

Une récente décision du Conseil d’Etat(3) conduit aussi à la vigilance quant à la rédaction même de la clause relative au sort du prix de vente résultant de la cession conjointe des titres démembrés. En effet, parce qu’au cas d’espèce cette clause laissait à l’usufruitier le choix, soit de remployer le produit de cette cession pour acquérir un autre bien, soit d’exercer un quasi-usufruit sur ce prix de vente, « le droit d’usufruit doit être regardé pour l’imposition de plus-values de cession […] comme reporté sur le produit de cette cession rendant l’usufruitier intégralement redevable de l’imposition ».

Pour éviter alors une imposition entre les seules mains de l’usufruitier, il est essentiel de s’assurer, lorsque la solution du partage du prix de cession entre usufruitier et nu(s)-propriétaire(s) est écartée, que le remploi du prix de cession soit obligatoire. En ce cas, le(s) nus(s)-propriétaire(s) sera(ont) le(s) redevable(s) de l’imposition sur la totalité de la plus-value ainsi dégagée.     

(1) BOFiP : BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60- n° 40 et s.
(2) Cour administrative d’appel de Paris – Arrêt du 6 novembre 2019 n°18PA02647
(3) Conseil d’Etat, décision du 02 avril 2021, n° 429187.

Philippe Masme
Responsable Marché Clients Gestion Privée / Direction du Développement Réseau des Banques Populaires chez BPCE SA.

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