Désignation du bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie
La Cour de cassation renforce le formalisme
L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation(1) restreint les modalités de désignation du bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie. Des conséquences importantes en découlent afin de sécuriser la ou les désignation(s) bénéficiaire(s), en particulier à l’occasion d’une éventuelle modification de la désignation initiale.
Le cas d’une désignation de bénéficiaire sous seing privé
Ici, l’adhérent avait désigné son conjoint comme bénéficiaire de son contrat d’assurance vie, avant de modifier cette désignation en faveur de son fils par un simple écrit sous seing privé. L’assureur n’ayant pas eu connaissance de cet écrit à l’époque du décès de l’assuré, il avait logiquement payé le capital au conjoint survivant.
Le fils du défunt a assigné ce dernier en restitution du capital. Les juges du fond, faisant application d’une jurisprudence constante, jugèrent que l’écrit désignant le fils du défunt comme bénéficiaire présentait une intention révocatoire ayant pour effet de détruire valablement l’attribution primitive du capital décès en faveur du conjoint en lui substituant le fils du stipulant.
La Cour de cassation, faisant une application stricte de l’article L.132-8 du Code des assurances, casse cette décision, aux motifs « qu’en statuant ainsi, alors (…) qu’elle n’a pas caractérisé que cet écrit constituait un testament olographe dont le fils du défunt aurait été fondé à se prévaloir, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations (…) »
Cette décision est inattendue et implique une vigilance renforcée des assurés dans l’expression de leur volonté.
En matière de désignation bénéficiaire, le Code des assurances requiert l’existence d’un bénéficiaire déterminé ou déterminable lorsque la prestation est exigible, au décès de l’assuré.
Les modalités de désignation indiquées par l’article L. 132-8 du Code des assurances – qui, outre la police d’assurance elle-même, prévoit l’avenant, les formalités de la cession de créance(2) et le testament – n’étant pas considérées jusqu’alors comme limitatives, la jurisprudence admettait toute forme de désignation.
La Cour de cassation veillait ainsi à respecter l’intention du stipulant en neutralisant les effets d’un formalisme excessif. La modification de la clause était valable dès que la volonté du stipulant était exprimée de manière certaine et non équivoque, l’acte par lequel était exprimée cette désignation s’imposait de plein droit à l’assureur. La forme de la désignation était donc une question d’opposabilité de celle-ci à la compagnie d’assurances, qui doit pouvoir identifier le bénéficiaire pour lui verser le capital, et non une question de validité de la désignation elle-même.
Le fait que l’assureur n’ait pas été informé de l’identité du bénéficiaire effectif avant le décès de l’assuré complique la compréhension de l’arrêt mais ne constitue pas le problème de droit tranché par la Cour de cassation – quoique la connaissance par l’assureur avant le décès de l’assuré est une condition d’efficacité et de validité de la désignation du bénéficiaire, qui explique les nouvelles exigences de formalisme.
En l’espèce, la Haute Juridiction se prononce sur la validité de la forme de la désignation du bénéficiaire (et non de la connaissance de l’identité du bénéficiaire véritable par l’assureur).
L’arrêt met un terme à l’approche compréhensive des formes de la désignation et impose le respect des modalités indiquées par l’article L. 132-8 du Code des assurances, à défaut c’est l’existence même du bénéficiaire qui pourrait être mise en cause, bien au-delà du débat sur son identité.
Le choix réel du mode de désignation s’exerce entre le testament et l’avenant
En effet, on voit mal les adhérents recourir au formalisme de la cession de créance (exploit d’huissier) pour informer l’assureur de l’identité du bénéficiaire.
En pratique, l’adhérent doit être vigilant sur la réception de l’avenant, qui doit être émis par l’assureur lorsqu’il est procédé à une modification de la clause bénéficiaire par lettre recommandée avec accusé de réception, ce qui est le moyen le plus fréquemment utilisé sur le marché.
En revanche, si l’adhérent souhaite désigner le bénéficiaire de son contrat avec le concours de son notaire, ce qui n’est pas contestable et permet de regrouper tous les aspects de la transmission de son patrimoine auprès d’un unique praticien, alors il conviendra de veiller à insérer cette désignation au sein même du testament (toute forme de testament étant admise).
La désignation réalisée sous seing privé, dans un document spécifique déposé chez le notaire et par conséquent en dehors du testament, ne présente plus aujourd’hui le degré de sécurité suffisant pour consolider la volonté de l’adhérent.
Toutefois, dès lors que la désignation sera insérée dans le testament, il conviendra de veiller à ce que les modifications du testament, notamment une éventuelle révocation, n’interfèrent pas avec la désignation du bénéficiaire du contrat d’assurance vie. En outre, la compagnie d’assurance doit être informée de l’identité du notaire auprès duquel la désignation a été déposée ; à défaut, les plus grandes difficultés pourraient advenir pour régler les prestations du contrat d’assurance.
Les spécificités de la clause bénéficiaire supposent de plus en plus qu’elle soit accompagnée par des spécialistes.
Marc THOMAS-MAROTEL
Responsable de l’ingénierie patrimoniale, BPCE VIE
Chargé d’enseignement Paris II Panthéon-Assas et Paris-Dauphine.
(1) Cour de cassation, 2ème chambre civile, 13 juin 2019, n° 18-14954, F-P+B+I
(2) Article 1690 du Code civil