Inflation : quels secteurs privilégier ?
Dans un environnement d’inflation durable, les investisseurs devraient davantage considérer les sociétés situées en amont de la chaîne de production ou disposant d’un fort pouvoir de négociation, ainsi que les actifs réels comme l’immobilier.
Longtemps en sommeil, il ne fait désormais plus aucun doute que le retour de l’inflation observé des deux côtés de l’Atlantique est un phénomène durable et non transitoire. Certes, la forte reprise économique constatée début 2021 à la suite de la sortie progressive de la crise sanitaire a tiré les prix à la hausse. Mais d’autres éléments se sont depuis greffés.
Une accumulation d’événements
« La pandémie a entraîné un déséquilibre entre l’offre et la demande de biens et de services, en raison des différentes restrictions sanitaires qui ont amené les entreprises à réduire drastiquement leurs capacités de production et provoqué des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement (i.e. retards de livraison liés à la fermeture de ports en Chine) », explique Louis Barranger, analyste financier chez Kepler Cheuvreux. Une situation qui a généré d’importantes pénuries de composants (semi-conducteurs) et augmenté considérablement le prix de certains matériaux (acier, bois) ainsi que les frais de logistique. « La plupart des entreprises confrontées à ce phénomène ont alors tenté de répercuter ces hausses de coûts aux consommateurs, provoquant in fine une première hausse de l’inflation », observe l’analyste financier. Parallèlement, le rebond de la consommation mondiale a entraîné une forte progression des besoins en énergie et par conséquent de leur prix, en raison d’un déficit offre/demande couplé à des stocks mondiaux déjà très bas. En 2021, les prix du pétrole ont par exemple progressé de 50 % (+ 43 % depuis le début de l’année) et le gaz naturel a bondi de 200 % (+ 61 %)(1). Par ailleurs, l’escalade du conflit russo-ukrainien en février dernier a davantage accentué les tensions inflationnistes. En effet, le premier choc de la guerre en Ukraine observé à ce stade est celui de la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie (cours du blé depuis le début du conflit, du 24 février au 13 mai 2022 : + 50 % selon Bloomberg). Cette situation s’explique par l’importance considérable des exportations russes/ukrainiennes dans les échanges internationaux d’énergie et de matières premières (céréales, aluminium, acier, pétrole, gaz naturel). En Europe par exemple, 45 % des importations de gaz en 2021 provenaient de la Russie, selon l’Agence internationale de l’énergie. Les nombreuses sanctions occidentales à l’encontre de la Russie et la volonté d’un grand nombre de pays de se détourner de l’État fédéral ont alors d’autant plus alimenté la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie. Des prix qui, selon un rapport de la Banque mondiale(2), pourraient rester élevés jusqu’à la fin 2024.
Accélération de la normalisation des politiques monétaires
Les politiques monétaires accommodantes mises en place pendant la crise par les banques centrales ainsi que les politiques de relance des États ont aussi contribué à la hausse généralisée des prix. Alors que les banques centrales soutenaient dans un premier temps la thèse d’une inflation dite « transitoire », la persistance des tensions inflationnistes et des problèmes dans les chaînes d’approvisionnement les amène aujourd’hui à revoir leur stratégie plus vite que prévu. Pour enrayer la hausse des prix (8,3 % sur un an en avril 2022 aux États-Unis), la Réserve fédérale américaine (Fed) a accéléré la normalisation de sa politique monétaire en remontant dès mars son taux directeur, compris aujourd’hui entre 0,75 % et 1 %. Et d’autres hausses sont à prévoir jusqu’à la fin de l’année. Mais ramener l’inflation à son objectif cible de 2 % sans que l’économie n’entre en récession « ne se fera pas sans douleur », prévient Jerome Powell, président de la Fed. Du côté de la Banque centrale européenne (BCE), sa présidente Christine Lagarde a aussi changé de discours, laissant clairement entendre que la première hausse des taux pourrait intervenir en juillet prochain. Il est vrai qu’à 7,5 % en avril 2022 sur un an, l’inflation en zone euro est très au-dessus de son objectif (environ 2 %).
Des secteurs résilients…
Les entreprises des secteurs de l’énergie et des matériaux de base figurent parmi les principaux bénéficiaires de ce regain d’inflation. En effet, elles profitent de la hausse des prix de l’énergie et des matières premières car elles sont placées en amont de la chaîne de production (quand elles ne sont pas directement productrices) et se trouvent donc en position de force pour augmenter leurs prix de vente ou tout simplement vendre leur énergie au prix du marché. « Ces groupes devraient ainsi voir leur rentabilité s‘améliorer et enregistrer des bénéfices plus élevés », estime Louis Barranger.
L’immobilier devrait aussi se montrer résilient dans cet environnement. Le secteur offre une bonne protection contre l’inflation grâce aux loyers généralement indexés sur cette dernière. Par ailleurs, bien que le prix des actifs immobiliers soit corrélé aux taux d’intérêt, « nous restons optimistes sur ce secteur car la hausse des taux directeurs par la BCE devrait être (très) graduelle, l’inflation provenant majoritairement de la hausse des prix de l’énergie », souligne Louis Barranger. La BCE a effectivement peu de marge de manœuvre pour augmenter ses taux dans un contexte de ralentissement économique en Europe.
… et d’autres plus touchés
À l’inverse, les secteurs à forte consommation énergétique ou intensité salariale pourraient pâtir de ce contexte inflationniste. Les entreprises exposées aux pénuries de matériaux et gourmandes en matières premières devraient également être délaissées. Pour Louis Barranger, « les valeurs industrielles, comme le secteur des biens d’équipement et la chimie, devraient être les plus touchées par les tensions dans les chaînes d’approvisionnement et l’inflation des coûts de production ». Ces groupes pourraient alors voir leur activité ralentir et leur rentabilité baisser. Les plus gros employeurs comme la distribution alimentaire ou les sociétés de conseil en informatique pourraient, quant à eux, subir une forte inflation salariale. La distribution alimentaire pourrait également ne pas être en mesure de reporter l’intégralité de la hausse des coûts sur ses prix de vente étant donné la forte intensité concurrentielle du secteur. Enfin, la consommation discrétionnaire (automobile et luxe) pourrait pâtir de la baisse du pouvoir d’achat des ménages. Avec comme effet une réduction de la consommation de biens non essentiels, ce qui impacterait in fine l’activité de ces secteurs.
(1) Source : Bloomberg, sur la période du 31 décembre 2021 au 13 mai 2022
(2) Commodity Markets Outlook, The impact of the war in Ukraine on commodity markets, Banque mondiale, avril 2022
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