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Nos entreprises ont anticipé la déglobalisation

Découvrez l’Interview de Jean-François Robin, Directeur de la Recherche de Natixis Corporate & Investment Banking.

Pourquoi, selon vous, les entreprises ont-elles accéléré leur recentrage en Europe et aux États-Unis en 2021 ?

Leurs dirigeants ont compris que le mouvement de déglobalisation initié par le choc de la crise sanitaire mondiale irait en s’accélérant en raison du phénomène de superposition des crises. Alors que les chaînes d’approvisionnement ont été fragilisées par la crise sanitaire, voici que surviennent la guerre en Ukraine et son paquet de sanctions très violentes à l’égard de la Russie, qui bouleversent la géopolitique des matières premières.

Est-ce pour cela qu’elles désertent la Chine ?

La crise sanitaire a démontré aux entreprises qu’il était dangereux d’être dépendant de la Chine pour la fabrication. Aujourd’hui, elles prennent conscience que cela peut constituer aussi une menace pour les ventes… Celles qui sont encore sur place s’interrogent légitimement sur l’avenir de leurs investissements en cas de problème grave entre Pékin et Taïwan. Une enquête conduite par la Chambre européenne de commerce en Chine confirme le retrait massif des entreprises. C’est inédit.

Quelles sont les caractéristiques de cette déglobalisation ?

C’est une mondialisation probablement plus régionalisée, obéissant à la logique du « friend-shoring » : on choisit des pays amis pour les chaînes de production et d’approvisionnement. L’exemple symbolique est Apple qui a déménagé l’assemblage de ses iPad de la Chine vers le Vietnam. La nouvelle stratégie d’implantation internationale des entreprises n’est plus guidée par le seul impératif coût-bénéfice. Elle intègre le paramètre de la résilience des chaînes, ce qui implique de les diversifier, ou encore celui du choix de pays d’accueil partageant les valeurs occidentales. Tout cela contribue à renchérir mécaniquement les coûts de production et engendre probablement un effet inflationniste ; car cette évolution s’additionne à l’objectif global de raccourcir les flux afin de diminuer le bilan carbone. C’est pourquoi l’Europe se soucie à nouveau de fabriquer ses propres batteries, semi-conducteurs ou panneaux photovoltaïques. Encore un facteur qui milite pour le recentrage de nos entreprises sur le Vieux Continent et aux États-Unis.

Mais ces économies occidentales que plébiscitent nos entreprises sont sous le coup du choc de la « stagflation »…

Ce choc, nous l’avions anticipé. Il se confirme et va sans doute s’accentuer. Si, aux États-Unis, l’inflation a probablement atteint son pic cet été, en Europe, le point haut pourrait n’intervenir qu’en fin d’année. Jusqu’à présent, la réapparition d’une inflation forte s’est traduite pour les entreprises par une crise de l’offre. Elles font face à la hausse de leurs coûts de production. Fort heureusement, leurs carnets de commandes sont très pleins, comme l’indiquent les enquêtes de terrain, en Allemagne ou en France. Mais demain, si elles devaient répercuter ces hausses des coûts de production sur leurs prix de vente ou bien encore arrêter leur production faute de gaz, par exemple, et recourir au chômage technique, elles pourraient faire face, de surcroît, à un effondrement de la demande.

Et le risque d’une crise de l’euro ressurgit…

À chaque crise, on annonce l’implosion de la zone euro. Jusqu’à présent, elle est toujours sortie renforcée. La baisse actuelle de l’euro par rapport au dollar traduit surtout l’écart croissant des taux d’intérêt directeurs de la BCE et de la Fed : 1,5 % contre 3,5 %. Cet écart résulte de choix qui répondent à des situations différentes. De l’autre côté de l’Atlantique, il existe un vrai risque de surchauffe de l’économie : la consommation est élevée, les salaires augmentent. Ce n’est pas le cas chez nous, où l’inflation provient à plus de 50 % de l’emballement des prix de l’énergie.

Et une implosion de la zone euro en raison du surendettement de certains États est-elle à craindre ?

À l’instar des entreprises françaises, qui parient sur la zone euro, je considère que cette dernière est beaucoup plus résiliente aujourd’hui qu’en 2008. La BCE s’est dotée d’un mécanisme de plus pour éviter le pire : un dispositif anti-fragmentation. Il lui est désormais possible de réassurer par exemple l’Italie, dont le niveau de la dette inquiète beaucoup, en achetant ses titres souverains sans limite de montant. Grâce à ce mécanisme, la BCE peut remonter ses taux sans provoquer la faillite d’un État membre. C’est une vraie révolution copernicienne.

Les États-Unis sont-ils à l’abri de cette tempête ?

Cette grande économie est plus que jamais la destination idéale pour le « friend-shoring ». En revanche, elle ne devrait pas échapper aux conséquences d’une récession technique et, cet automne, d’un probable changement de ligne politique ; les Démocrates seront probablement battus aux élections de mi-mandat. Le retour au pouvoir des Républicains pourrait rimer avec une politique plus protectionniste.

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