L’habilitation familiale : le bon réflexe en cas d’incapacité

Cette mesure de protection juridique destinée aux familles permet d’assister ou de représenter un proche qui, sur constat médical, souffre d’une altération de ses facultés mentales et/ou corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté dans l’accomplissement des actes juridiques le concernant.
Marion Azoulay et Cyrille Macaudière, ingénieurs patrimoniaux à la Banque Populaire Méditerranée, expliquent le fonctionnement de cette mesure judiciaire allégée qui requiert nécessairement une entente familiale, à la différence de la tutelle et de la curatelle.

Quel est le réflexe à avoir quand un proche perd sa capacité juridique ?

Marion Azoulay : Quand un proche est victime d’un accident, d’une maladie invalidante ou neurodégénérative du fait du grand âge, il peut devenir inapte à gérer ses propres intérêts et ses biens (altération des facultés mentales et/ou corporelles). Traditionnellement, il est mis sous tutelle ou curatelle selon le degré de son incapacité. En 2015(1), le législateur a souhaité renforcer la place des familles et faciliter leur engagement auprès des personnes bénéficiant d’une mesure de protection juridique en créant l’habilitation familiale(2). Un ou plusieurs membres de la famille est(sont) alors habilité(s) à agir au nom de la personne protégée, à la représenter, à réaliser certains actes en son nom pour une durée maximale de dix ans(3).

Comment est-elle mise en œuvre ?

Marion Azoulay : L’habilitation peut être accordée à une ou plusieurs personnes du cercle suivant : conjoint, partenaire pacsé, concubin, ascendants (parents, grand-parents), descendants (enfants, petit-enfants), frères et sœurs. La requête doit être accompagnée d’un certificat médical circonstancié, rédigé par un médecin inscrit sur une liste établie par le procureur de la République, puis adressée au greffe du tribunal dont dépend le lieu de résidence du majeur à protéger. Le jugement est rendu par le juge des contentieux de la protection, anciennement juge des tutelles, sous un délai maximum d’un an. L’habilitation générale fait alors l’objet d’une mention en marge de l’acte de naissance de la personne protégée. Si le juge constate qu’il n’y a pas de consensus familial ou de protection suffisante des intérêts patrimoniaux, il peut ordonner la mise en place d’une autre mesure de protection judiciaire. Le dispositif prend fin soit à l’expiration du délai fixé, soit avec le décès de la personne protégée, soit avec sa mise sous tutelle ou curatelle, soit encore si elle retrouve ses facultés.

Une fois l’habilitation familiale entérinée par le juge, l’(les)habilité(s) familial(aux) exerce(nt) librement la mesure et ne lui rend(ent) pas compte de sa(leur) gestion. Le greffe du tribunal ne contrôle pas davantage les comptes annuels de gestion. L’(les)habilité(s) n’a(ont) pas non plus l’obligation de dresser un inventaire du patrimoine de la personne protégée. Toutefois, quelques actes, limitativement énumérés par la loi, restent soumis à l’autorisation du juge à l’instar du régime de la tutelle. C’est notamment le cas de la vente de la résidence principale(4) du majeur protégé, qui aurait par exemple été rendue nécessaire pour financer une entrée en EHPAD(5).

De quels pouvoirs dispose la personne habilitée ?

Cyrille Macaudière : Tout dépend des termes de l’ordonnance d’habilitation qui est soit générale, soit spéciale. Dans les deux cas, l’(les)habilité(s) familial(aux) peu(ven)t être autorisé(s) à exercer l’habilitation, soit en représentant les intérêts de la personne à protéger, soit en l’assistant. La loi, sans le prévoir expressément, n’interdit pas que le jugement d’habilitation familiale puisse prévoir une assistance pour une partie des actes à réaliser et une représentation pour une autre catégorie d’actes.

En vertu d’une habilitation générale, la(es) personne(s) habilitée(s) – appelée(s) aussi mandataire(s) – peu(ven)t accomplir un très large éventail d’actes. Contrairement aux mesures de curatelle et de tutelle, les missions confiées à un habilité familial ne dépendent pas de la qualification de l’acte en tant qu’acte d’administration ou de disposition, mais de leur caractère à titre gratuit ou onéreux. Ainsi, et sauf décision contraire du juge, la(es) personne(s) habilitée(s) peu(ven)t régler les dépenses courantes, encaisser des loyers, ouvrir ou clôturer un compte bancaire, un livret etc…. Il en va de même pour les actes concernant l’entreprise de la personne incapable (paiement des factures, des sous-traitants). En revanche, l’exercice des pouvoirs de direction d’une structure sociale est exclu.

L’habilitation générale permet également d’effectuer des actes plus importants, sous réserve de l’autorisation préalable du juge. C’est le cas d’un acte de disposition à titre gratuit, comme par exemple une donation, ou de celui à titre onéreux comme la vente de la résidence secondaire du majeur protégé, à l’instar de la résidence principale déjà évoquée. Il peut s’agir aussi de la conclusion d’un emprunt. Dans ce cadre, la personne habilitée a exactement les mêmes pouvoirs qu’un tuteur désigné par la justice.

Quant à l’habilitation spéciale, elle vise un ou plusieurs actes que la personne chargée de l’habilitation peut accomplir, seule ou avec la personne protégée, sur les biens de l’intéressé, sa santé ou encore son placement en maison de retraite. L’habilité ne peut toutefois réaliser que les actes prévus dans le jugement. Une fois ces derniers accomplis, l’habilitation familiale spéciale prend fin(6).

Qu’elle soit générale ou spéciale, la mesure d’habilitation familiale prend fin dans les cas suivants : le décès de la personne protégée ; le placement de la personne protégée sous le régime de sauvegarde de justice, de curatelle ou de tutelle ; la mainlevée de l’habilitation familiale ; l’absence de son renouvellement.

Comment sapplique lhabilitation dans le cas de lassurance vie ?

Cyrille Macaudière : L’habilitation familiale permet de gérer les comptes et placements financiers de la personne protégée. En matière d’assurance vie, la personne habilitée peut agir seule en matière de souscription et gestion du contrat (rachat, avance, arbitrage). Il semblerait que l’accord du juge soit requis en matière de désignation ou modification de la clause bénéficiaire. En revanche, la personne habilitée n’est pas autorisée à renoncer au bénéfice du contrat d’assurance vie pour le compte de la personne protégée. Compte tenu des enjeux relatifs à la clause bénéficiaire, plus la rédaction de l’habilitation est détaillée, plus cela sécurise sa mise en œuvre. En la matière, la banque comme la compagnie d’assurance sauront accompagner le mandataire pour le guider dans ses responsabilités.

(1) Créée par l’ordonnance du 15 oct. 2015 (www.legifrance.gouv.fr) et modifiée par la loi du 23 mars 2019 (www.legifrance.gouv.fr).
(2) Article 494-1 et suivants du Code civil.
(3) La mesure peut être renouvelée pour la même durée, voire pour 20 ans, lorsque l’altération des facultés personnelles de la personne protégée n’apparaît manifestement pas susceptible de s’améliorer.
(4) Article 426 du Code civil.
(5) Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
(6) Article 494-11 du Code civil.

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