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Interview de Fabien Soreau, infirmier

Témoignage sur la création d’une maison de santé.

Pourriez-vous vous présenter ? et nous parler de votre activité ? de votre expérience ?

J’ai 35 ans je suis infirmier depuis 2008 et infirmier libéral depuis 2014. J’ai créé en 2014 mon cabinet à Saint-Alban – une commune de 2000 habitants dans les Côtes d’Armor – où il n’y avait jusque alors pas de cabinet infirmier. J’ai démarré mon activité seul dans un petit cabinet que je louais, aujourd’hui nous sommes quatre : une associée, une collaboratrice, une remplaçante et moi-même. Avant cela, j’ai principalement travaillé à la Réunion où j’ai été infirmier dans un centre d’obésité et de nutrition, puis après en dialyse. J’ai également été infirmier hygiéniste puis au sein du service qualité et gestion des risques. Ces expériences ont été très formatrices notamment concernant l’évaluation de la qualité du soin, ce qui m’a d’ailleurs incité plus tard à opter pour l’exercice coordonné en ville. Je me suis en effet aperçu que l’on apportait une véritable plus-value au patient en communiquant davantage et que les erreurs dans le système de santé sont souvent liées à des défauts en la matière.

Rapidement après m’être installé, j’ai été pris par un nouvel élan entrepreneurial. L’objectif du projet était de créer une association de professionnels de santé. A la suite de cela, j’ai été contacté par un dentiste parce que la mairie de la commune lui avait proposé un terrain pour créer une maison de santé. Finalement ce projet n’a pas abouti mais cela m’a donné l’idée d’un projet dans la commune de Saint-Alban. La maison de santé, ouverte en 2019 dans la zone des Croix-Rose, regroupe un cabinet de médecine généraliste, un kinésithérapeute, un pédicure podologue, un psychologue et un cabinet infirmier.  

Quels bénéfices à l’exercice collectif pour les professionnels de santé ?

Pour moi, le plus important ce n’est pas d’être regroupé dans un même bâtiment, c’est mieux bien entendu, parce que si on a besoin d’un conseil ou si on a des dossiers en commun, c’est très pratique et commode d’avoir des médecins à ses côtés. La transmission d’informations est en effet bien plus rapide. Mais l’essentiel, selon moi, reste la dynamique de communication, de travailler de manière coordonnée autour de patients, autour de projets, cela nous a permis d’être par exemple très réactif face à la crise de la covid.  On a en effet réussi à s’organiser en créant notamment un centre de dépistage avec l’ensemble des cabinets du secteur. Peu importe qu’il s’agisse d’un patient de l’un ou l’autre praticien, on les envoie tous au même endroit aux horaires dédiés au dépistage. Et ça c’est quelque chose de vraiment nouveau. Il y a quelques années cela n’aurait pas été possible, chacun s’occupait de ses patients et se retrouvait en concurrence avec les autres professionnels de santé.

Nous avons fonctionné de la même manière avec les dons de matériel pour se protéger des contaminations, en le redistribuant aux professionnels de santé qui en avaient besoin. Là encore, plutôt que chaque cabinet garde son matériel, on l’a centralisé et redistribué de manière intelligente. Cela n’aurait pas été possible sans travailler ensemble.  

Quels bénéfices pour les patients ? Quels services cette initiative apporte-t-elle aux habitants de la commune ?

D’abord, les patients apprécient l’accessibilité et le confort du pôle de santé. Ils arrivent dans un bâtiment neuf, équipé d’un parking, accessible à tous, y compris aux personnes handicapées. Trouver des professionnels de santé réunis au même endroit et qui travaillent de manière coordonnée représente bien entendu également un plus. D’ailleurs on a remarqué que depuis que l’on a créé ce pôle, les patients qui ont rendez-vous avec un médecin, prennent de plus en plus l’habitude de venir aussi consulter un infirmier. Ce qui est nouveau puisque en tant qu’infirmier on a davantage l’habitude de faire des domiciles.

Une autre source de satisfaction pour les patients c’est la proximité. En généralisant, on reproche souvent aux hôpitaux leur prise en charge déshumanisée. Les patients ont la sensation d’être un numéro parmi tant d’autres. Ils trouvent tout le contraire chez nous. Le fait d’avoir une équipe coordonnée sur un territoire, les patients se sentent considérés, rassurés et bien pris en charge. Ils se retrouvent dans un environnement qu’ils connaissent avec des professionnels qu’ils connaissent.

Ensuite, ils sont bien entendu satisfaits que l’on communique davantage entre professionnels de santé. Toujours dans cet objectif, nous sommes en train de mettre en place un outil de partage du dossier médical pour les patients nécessitant l’intervention de plusieurs professionnels, les patients dits complexes. C’est une sorte de WhatsApp sécurisé pour partager des données médicales et donc confidentielles.

Une meilleure coordination permettrait de réaliser de véritables avancées pour le patient. Par exemple, ce n’est pas un problème que les spécialistes soient loin, si on utilise la télé médecine pour communiquer avec eux. Nous pourrions très bien accompagnés le patient pour réaliser une téléconsultation avec un spécialiste. Pour ceux qui ont besoin d’assistance, un infirmier pourrait ainsi se charger de transmettre des données fiables au médecin spécialiste. Cela permettrait de créer du lien entre les spécialistes à distance et les professionnels de santé de proximité, tout en apportant plus de service au patient.  

Et quels bénéfices pour les professionnels de santé ?

L’objectif principal, lorsque l’on crée une maison de santé, c’est satisfaire le patient, mais c’est vrai qu’un tel projet permet aussi d’attirer des jeunes professionnels de santé. Nous ne nous trouvons pas aujourd’hui dans un désert médical, mais cela pourrait bien être le cas dans deux ans, étant donné que la majorité des médecins dans notre zone ont dépassé la soixantaine.

De tels projets répondent aussi aux attentent des jeunes professionnels de santé qui ne souhaitent pas pratiquer seuls, de manière isolée. Ils veulent avoir une équipe médicale – infirmier, kiné, etc. – autour du patient pour lui offrir la meilleure qualité de service possible et plus globalement être mieux structuré.  Ils aspirent aussi à un meilleur équilibre vie professionnelle-vie privée par rapport à ce qu’ont connu leurs aînés.  

Comment pensez-vous ou souhaitez-vous que le système de soins évolue dans les 5 à 10 ans à venir ?

Ce qui nous fait défaut aujourd’hui c’est une véritable coordination ville-hôpital. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de l’exercice coordonné en ville et c’est pourtant cela l’avenir.  Il faudra travailler notamment avec les équipes de soins primaires de proximité. Et pour moi, les infirmiers devraient être reconnus comme tels. Avec un triptyque socle infirmier-médecin-pharmacie autour duquel il faudrait développer de véritables services de soins coordonnés. Aujourd’hui vous avez un médecin traitant, vous avez un pharmacien référent, et, selon moi, il faudrait aussi un infirmier de famille, parce que ce sont des métiers qui sont au plus près du patient au quotidien. 

Il faut aussi que l’on structure davantage le système de soins. Les soins de proximité sont essentiels dans cette équation. En fin de compte, on ne se rend à l’hôpital que pour un épisode de soins, un problème qui demande de la technicité. On met souvent l’hôpital au centre du système, alors que ce sont finalement les professionnels de santé de ville qui soignent les patients au quotidien.
La priorité est de privilégier la qualité des soins en replaçant le patient au cœur du système et de restructurer la médecine de ville, et cela passe aussi par davantage de prévention.

Organiser la médecine de ville pour faire en sorte que les patients restent à domicile pour leurs soins du quotidien, et ne considèrent l’hôpital que comme un lieu d’expertise. Cela permettrait ainsi de désengorger notamment les urgences des consultations qui pourraient être pris en charge ailleurs. Le défi à relever repose donc sur cette meilleure articulation médecine de ville et hôpital. Aujourd’hui ceux sont deux mondes distincts, alors qu’ils devraient n’en former qu’un.