Portefeuille titres démembré, mode d’emploi 

La gestion d’un portefeuille démembré de valeurs mobilières ne s’improvise pas. Graziella Tecli, ingénieure Banque Privée chez Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes, explique les règles de fonctionnement et les précautions à prendre pour une organisation optimale entre usufruitier et nu-propriétaire.

Quest-ce que le démembrement de propriété ? 

Graziella Tecli : Le démembrement de propriété est un procédé juridique très ancien qui consiste à séparer en deux les prérogatives attachées au droit de propriété : l’usufruit d’une part et la nue-propriété de l’autre. 

Concrètement, l’usufruitier a le droit de jouir des biens ou de ses fruits : à titre d’exemple, s’agissant d’un bien immobilier, il peut y habiter (usus) ou le mettre en location (fructus). Appliqué à un portefeuille de valeurs mobilières, l’usufruit comprend les dividendes des actions et les intérêts des obligations. 

Le nu-propriétaire, quant à lui, a le droit de disposer du bien (abusus), soit de la seule nue-propriété dont il bénéfice sans requérir l’accord de l’usufruitier durant le démembrement, soit, à terme, de la pleine propriété du bien et de son éventuelle valorisation en raison de l’extinction de l’usufruit. 

Dans quelles circonstances un portefeuille titres peut-il être démembré ? 

G. T. : Le démembrement de propriété d’un portefeuille titres (ou portefeuille de valeurs mobilières) est très fréquent en cas de succession, car l’époux survivant hérite souvent de l’usufruit de son conjoint décédé. Les enfants du défunt héritent alors de la nue-propriété et deviendront pleinement propriétaires au décès de l’usufruitier. Ce démembrement peut aussi être un choix volontaire des parents de leur vivant, afin de commencer à transmettre leur patrimoine. 

Quel est lintérêt de séparer la pleine propriété d’un bien ?  

G. T. : Outre une répartition des pouvoirs et des droits entre usufruitier et nu-propriétaire selon la nature du bien considéré, le démembrement de propriété permet de diminuer le coût fiscal de la transmission. 

Les parents donnent de leur vivant la nue-propriété du portefeuille titres à leurs enfants et s’en réservent l’usufruit afin de continuer à en percevoir les revenus. Les droits de donation sont alors calculés, non pas sur la valeur en pleine propriété, mais sur la seule valeur de la nue-propriété, laquelle dépend de l’âge de l’usufruitier au jour de la transmission : plus celui-ci est jeune au moment de la donation, plus le coût de cette transmission est faible. Lorsque l’usufruit s’éteint au décès du parent usufruitier, les donataires de la nue-propriété récupèrent la pleine propriété sans droits supplémentaires. 

De lusufruitier ou du nu-propriétaire, qui peut gérer le portefeuille titres ? 

G. T. : En principe, l’usufruitier peut gérer le portefeuille titres sans autorisation du nu-propriétaire. Cependant, il a l’obligation de le faire en préservant les droits du nu-propriétaire et la substance(1) du portefeuille. En pratique, cela signifie que lorsqu’il vend des titres, il doit réinvestir le produit de cession, tout en respectant le profil d’investissement initial, en termes de risque, d’horizon et d’allocation. Les taxes sur les éventuelles plus-values d’arbitrage sont à la charge du nu-propriétaire, qui pourtant ne reçoit pas de liquidités puisque le produit de cession est réinvesti(2). C’est pourquoi, dans le cadre d’une succession, il est possible de faire supporter cet impôt par le seul usufruitier, qui dispose des revenus du portefeuille. Cela suppose, en amont, l’option expresse et conjointe du nu-propriétaire et de l’usufruitier auprès de l’établissement teneur de compte. En outre, le nu-propriétaire bénéficie d’un droit à l’information de la part de l’usufruitier, qui doit rendre compte de sa gestion en lui communiquant les mouvements opérés sur le compte titres, ainsi que sa valeur(3)

Comment liquider un portefeuille démembré  

G. T. : Le portefeuille titres ne peut être vendu que si tout le monde est d’accord. En principe, le prix se répartit entre l’usufruitier et le nu-propriétaire selon la valeur respective de leurs droits. Si la vente dégage une plus-value qui n’est pas réinvestie dans le portefeuille, chacun paie l’impôt correspondant à ses droits. Toutefois, lors de la liquidation du portefeuille, les parties peuvent décider de reporter le démembrement sur un autre bien comme un contrat de capitalisation ou un bien immobilier. Les modalités de réemploi du prix de cession devront alors être définies avant la cession et cette faculté de réemploi devra être obligatoire. Enfin, les parties peuvent également convenir de constituer un « quasi-usufruit » sur le prix de vente. Dans ce cas, l’usufruitier peut disposer seul du produit de la vente et est seul redevable de l’imposition de l’éventuelle plus-value. Devenu quasi-usufruitier, il sera redevable envers le nu-propriétaire d’une dette de restitution, qui sera remboursée à ce dernier sur la succession de l’usufruitier. Cette créance du nu-propriétaire sera déduite de la succession du défunt en tant que passif. Elle réduira ainsi l’assiette des droits de succession, sous réserve que le contribuable soit en mesure de justifier que le but principal n’était pas fiscal. L’enregistrement d’une convention de quasi-usufruit est d’ailleurs indispensable pour lui donner date certaine et rendre la créance du nu-propriétaire possiblement opposable à l’égard de l’administration fiscale. 

À quoi sert-il de rédiger une convention de démembrement ? 

G. T. : Une convention est un contrat par lequel les parties peuvent organiser le démembrement à leur guise : par exemple, définir le degré de liberté accordé à l’usufruitier (en définissant un profil de gestion qu’il devra respecter ou en exigeant l’accord du nu-propriétaire au-delà d’un certain montant annuel de cession…), organiser précisément l’information du nu-propriétaire (fréquence, contenu) ou encore prévoir qu’une fraction du prix de cession des titres soit répartie afin de permettre au nu-propriétaire de faire face à l’impôt sur la plus-value. 

Quelle autre précaution conseillez-vous ? 

G. T. : Le démembrement d’un portefeuille produit des effets fiscaux qu’il faut anticiper. Il convient de bien isoler les flux issus du portefeuille en les fléchant sur des comptes distincts : un compte espèces pour capter le prix de cession des actifs démembrés en attente de réemploi ; un compte ouvert au seul nom de l’usufruitier, destiné à accueillir les revenus qui lui reviennent. À défaut, le portefeuille, déjà taxé au premier décès (ou lors de la donation), risque de se voir fiscalisé de nouveau lors du décès de l’usufruitier. 

(1) Depuis l’arrêt de la Cour de Cassation dit « Baylet » rendu le 12 nov.1998, un portefeuille titres étant considéré comme une universalité de fait, le démembrement réalisé ne s’exerce pas alors sur chaque titre, mais sur l’ensemble du portefeuille.
(2) https://www.banquepopulaire.fr/gestion-privee/demembrement-et-impot-sur-les-plus-values/
(3) L’usufruitier est « en liberté surveillée ». Au-delà du droit de regard du nu-propriétaire sur sa gestion, ce dernier pourra agir en justice à l’encontre de l’usufruitier pour mauvaise gestion ou abus de jouissance en cas de manquement.